VIIème journée d’étude sur l’Observance franciscaine au
féminin
Sainte Colette de Corbie
Assise, 17 novembre 2012
Chronique
En ce 17 novembre 2012, s’est déroulée au Monastère Sainte
Colette d’Assise la 7ème journée d’étude sur l’Observance franciscaine au
féminin organisée par le Monastère Sainte Colette d’Assise avec la
collaboration de la
Scuola Superiore di Studi Medievali e Francescani della
Pontificia Università Antonianum de Rome et du Monastère Santa Lucia de
Foligno. Cette année, il avait été proposé d’élargir la réflexion en jetant un
regard sur la réforme franciscaine dans la terre française du 15ème siècle, et
était consacrée en particulier aux vicissitudes historiques, culturelles et
historiques de sainte Colette de Corbie, en comparaison avec ce qui est advenu
dans la péninsule italienne pour le mouvement des clarisses de l’Observance.
Quelques semaines auparavant, le Professeur André Vauchez
avait accepté de se rendre au au monastère Sainte Colette à Assise et au monastère
de Monteluce in S. Erminio à Perugia, pour faire une première présentation de
Sainte Colette en dressant un tableau du contexte historique dans lequel
celle-ci s’est insérée. Colette, a-t-il relevé, a vécu une période terrible dans
une France marquée par la guerre des Cent Ans, et où la peste avait décimé la
population ; dans le même temps, l’Italie, divisée en de nombreuses
principautés qui parfois se combattent, vit toutefois dans une plus grande
tranquillité. D’un point de vue culturel, l’Italie commence à s’ouvrir à la
grande période de la
Renaissance, elle est influencée par les Ordres mendiants et
a une spiritualité plus mystique, tandis que la France vit encore, d’une
certaine manière, dans la période du Moyen-Âge, et est davantage influencée par
la spiritualité cistercienne et ascétique. D’un point de vue ecclésial, le
schisme d’Occident conduit à des conflits d’autorité : la France - et donc Colette -
se réfère au pape d’Avignon, alors que l’Italie, et donc les frères observants,
se réfèrent au pape de Rome. Colette, tout comme ses collaborateurs, a été
attentive à l’unité du mouvement franciscain, elle a cherché à ne pas créer une
nouvelle déchirure, d’où sa réserve vis-à-vis de l’Observance italienne.
Colette a eu une ténacité extraordinaire et a fait preuve d’une grande
diplomatie, elle a opéré dans un contexte extrêmement difficile, et elle a su
d’une part s’appuyer sur un franciscain, le frère Henry de la Baume et d’autre part
trouver le soutien des grands de ce monde pour ses fondations. L’originalité de
Colette a été d’avoir voulu rétablir la pauvreté dans les monastères, avec la
règle de Ste Claire.
En ouvrant la journée d’étude du 17 novembre dernier, p.
Pietro Messa a noté l’importance et le mérite de consacrer du temps et des
énergies à la culture et à l’histoire, dans cette époque de crise non seulement
économique, mais de profonde ignorance. Il a rappelé en cela les paroles du
Cardinal Jean-Louis Tauran : aujourd’hui, nous vivons un affrontement non
pas de civilisations, mais d’ignorances.
Dans son intervention intitulée Frères Mineurs et
Clarisses dans la France
des XIVème et XVème siècles, le Professeur Ludovic Viallet a rappelé dès le
début que la vie franciscaine du 15ème siècle est très complexe. Il a divisé
son intervention en trois points : 1. qu’est-ce que l’observance ? 2.
le pouvoir informel des mystiques, 3. les « colettans ». L’observance
n’est pas propre au franciscanisme. Dans cette période de crise et de rivalité
surtout entre Rome et Avignon, il y a deux obédiences, non seulement dans
l’Eglise, mais aussi parmi les frères prêcheurs et les mineurs. C’est la
période de Jean Huss et des Hussites : il y a donc un fort appel à la
conversion. Hérésie et orthodoxie s’affrontent et il est important de se
rappeler que Martin Luther lui-même sera un observant, tout comme Girolamo
Savonarola. Les observants des mineurs obtiennent une autonomie, tandis que les
frères prêcheurs n’en arrivent jamais à la rupture. L’observance requiert un
plus grand respect des normes primitives. Ce n’est pas un mouvement unique,
mais une réalité complexe. Le Professeur Ludovic Viallet a distingué trois
typologies dans le monde des mineurs : celle dite des couvents – ou
conventuels- ; l’observance institutionnelle cismontaine et
ultramontaine ; la « voie moyenne » qui demeure sous la
juridiction des ministres. Il a ensuite rappelé quelques dates importantes,
telle la canonisation de Bernardin de Sienne en 1450, qui est quasi une
reconnaissance officielle de l’observance institutionnelle. Puis Paoluccio de
Foligno obtient une autonomie qui sera toujours plus profonde dans cette
période, qui est celle du Concile de Constance. Les observants italiens se
caractérisent par cette fidélité au pape, tandis que dans d’autres territoires,
comme en Allemagne, il y a une critique très forte de la curie papale. En ce
qui concerne le pouvoir informel, le Professeur a évoqué par exemple la prise
de parole charismatique des Bernardins : on est fidèle à une image du
fondateur ou de la fondatrice, et à l’ensemble des valeurs que l’on raccroche à
la figure fondatrice. Il est significatif que Colette ait été considérée en
France comme« notre mère », tout comme François était appelé à cette
époque par le titre de « notre père ». Chez Colette, on trouve la
force du modèle que représente une sainte vivante.
Mais Colette, à la
différence des béguines et mystiques féminines qui seront condamnées en grand
nombre par le concile de Bâle comme visionnaires ou appartenant au monde de la
magie, ne prophétise pas pour les affaires du monde. On ne trouve pas chez elle
d’excès de surnaturel dans les phénomènes physiques. Colette est une sainte
vivante, mais sans manifestations mystiques extrêmes ; Colette est
charismatique, mais normale. Enfin, les « colettans » sont cette via
media qui est mieux perçue et soutenue par les autorités locales, que
l’observance semblable à celle de Jean de Capistran. En concluant, Viallet a synthétisé en
affirmant que Colette a été une femme forte, intelligente, pragmatique.
Sœur Marie Colette Roussey a ensuite présenté la biographie
et la spiritualité de Colette de Corbie, en se référant continuellement aux
sources : les biographies de sainte Colette écrites par Pierre de Vaux et
par Sr Perrine, les Constitutions de sainte Colette, les Sentiments, les
Lettres, le Testament,... Colette est née en 1381 à Corbie en Picardie, dans
une période caractérisée concrètement par les guerres continuelles, la famine,
la peste, les violences. Colette aime la solitude et la liturgie dès son jeune
âge. Recluse, elle se sent appelée par St François à s’engager dans une œuvre
de réforme. Elle obtient un exemplaire de la règle de Sainte Claire et fonde de
nombreux monastères auxquels elle écrira et donnera des Constitutions afin que
la règle de Claire soit mieux observée, avec un accent fort sur la clôture et
la vie fraternelle. La spiritualité de Colette se focalise sur la Croix du Christ, en un amour
qui accepte de s’unir à l’offrande du Sauveur dans sa dimension réparatrice.
Colette canalise les élans de l’amour dans l’observance concrète des ordonnances ;
l’obéissance de chacune des soeurs fonde la communauté et l’oriente vers un
unique objectif : la liturgie qui est la prière de l’Eglise, et
l’Eucharistie. Dans sa mission d’abbesse et de réformatrice, comme dans sa vie spirituelle, Colette se
révèle une femme d’une grande sagesse.
Sœur Monica
Benedetta Umiker ainsi que Sœur Thérèse Myriam Chaumont ont ensuite étudié les
différences et continuités des deux expériences de réforme franciscaine du 15ème
siècle : celle de sainte Colette de Corbie et du mouvement né d’elle, et
celle de l’Observance franciscaine dans la péninsule italienne. Les différences
semblent dépendre surtout de facteurs externes, historiques, culturels, ou dus
à la personnalité et à la mentalité des protagonistes. En ce qui concerne le
contenu, les deux expériences recherchent une observance spirituelle et
véritable de la vie évangélique vécue et proposée par sainte Claire. Enfin, il
fut partagé un premier essai de confrontation à partir des textes législatifs
respectifs, qui semblent avoir été en contact à travers la personne de saint
Jean de Capistran : ce dernier a utilisé les Constitutions de Colette dans
son Explication de la règle de Sainte Claire, et cette Explication, bien que
écrite en réponse à une demande personnelle venant de Monatova, s’est diffusée
parmi les monastères italiens et autres. Jean de Capistran avait aussi des
contacts avec Monteluce, et les Ordinazioni di Monteluce ont de nombreux
éléments communs avec les Constitutions de Sainte Colette.
En conclusion, partant du travail de synopse des trois
textes législatifs à peine exposé par sr Monica Benedetta Umiker et sr Thérèse
Myriam Chaumont, p. Giuseppe Buffon a noté que, s’il y a un risque de
comparatisme, l’histoire comparée peut aussi enrichir la complexité de la
réalité. Le fait qu’il y ait eu une
« contamination » des différentes expériences d’observances
franciscaines féminines par l’intermédiaire de Jean de Capistran montre que la complexité
du réel s’avère être plus que pluri forme, et que, tout en étant contradictoire,
elle peut porter en elle une continuité qui contient une uniformité. D’autre
part, la recherche d’autonomie, caractéristique des mouvements de réforme, qu’a
évoquée le professeur Ludovic Viallet, peut être considérée comme un thème de
continuité. Fondamentalement, les capucins sont ceux qui réaliseront pleinement
cette forme d’autonomie, dans le sens qu’au 16ème siècle, les capucins seront
les premiers à obtenir leur autonomie et c’est pour cela qu’ils auront du
succès. Plus qu’une intuition alternative par rapport aux origines, il y a
plutôt une sorte d’efficacité juridique, d’une conquête d’autonomie restant
dans l’unité, qui caractérise les réformes du 16ème siècle, et peut-être
également du 15ème siècle. Enfin, la construction de l’image est quelque chose
de surprenant. L’image par excellence de cette période est celle de la
fondatrice, ou du fondateur. C’est l’observance qui a construit l’idée de
« Claire fondatrice » : auparavant, la fondatrice n’était pas
perçue de façon aussi décisive. La recherche d’une légitimation pour ces
fondateurs part justement de la vision. Or il a été dit que la mission de
Colette commence par une vision de François, qui la légitime comme fondatrice.
Mais si Colette est fondatrice, quelle sorte de fondatrice est-elle ? Elle
est fondatrice, car elle a eu une vision, mais non dans le sens extatique du
terme, c’est une vision modérée, et voilà pourquoi Colette n’est pas condamnée,
mais est reçue à l’intérieur de l’orthodoxie. Colette est fondatrice, car elle
est également écrivain : elle écrit le texte des Constitutions. C’est une
fondatrice particulière, car elle est fille d’artisan, elle n’est pas noble.
Mais, comme l’a dit Sr Marie Colette Roussey, elle fonde grâce aux nobles et
les premières communautés trouveront refuge dans des châteaux. Le thème du
château revient d’ailleurs dans les écrits de Colette pour parler de la
sponsalité et de la clôture. Colette est fondatrice, car elle ne réforme pas
mais fonde et est « mère ». Elle ne veut pas être fondatrice et innovatrice,
mais ce sont ses biographes qui la veulent et la décrivent ainsi, avec des
expériences visionnaires. C’est donc une « voie moyenne », dans le
sens où il y a beaucoup de voies moyennes : c’est le signe de la
complexité. Il n’y a pas un élément complètement positif, ou complètement
négatif, un élément complètement noir ou complètement blanc : il y a des
gris en grand nombre. L’exception de la contamination par l’intermédiaire de
Jean de Capistran fait échouer toutes nos tentatives de distinctions et de
séparations, qui pourtant existent car jamais la France ne parvient à
s’insérer pleinement dans la gestion de l’Ordre !
Divers intervenants ont exprimé le désir que, de même que
furent publiées les sources franciscaines, et bientôt les sources clariennes,
de même il pourrait être programmé d’éditer également les sources colettines. Les
interventions de la journée seront publiées en français comme articles de
revues, et en italien dans un volume en tant que tel.
Sr Thérèse Myriam Chaumont
Monastère Sainte Colette
Borgo San Pietro, 3
06081 Assisi (Perugia) - Italia
Tel. (0039) 075-812345
E-mail: clarissesdassise@libero.it
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